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Explication sur le Neijia quan
Juin 2011
En Chine, les arts martiaux se sont développés parallèlement à l’art
de la guerre et des stratégies, marqués par sa durée et par son ancrage
dans la culture. Pendant plus de trois mille ans, l’alternance entre les
périodes de paix et de troubles a produit un besoin aigu d’auto
protection et d’adaptabilité au sein du peuple. Un adage très chinois
disait : «Il est préférable de vivre en chien en temps de paix qu’en
homme en temps de guerre.» Par contre, ce changement constant développe
une transmission, je dirais ‘un gène’ a façonné un savoir-faire et une
recherche concernant ce domaine. De guerres incessantes ont contribués à
des flux migratoires importants d’où d’échanges conséquents sur les us
et coutumes entre les autochtones et les peuples des pays environnants.
La chine possède deux atouts favorables pour ce brassage: l’étendue de
son territoire et la densité de sa population. L’immense espace a permis
en temps de guerre d’entraîner son camp à ‘fuir’ et à se cacher, en
évitant de perte inutile par ‘auto préservation’. Entre temps, on peut
espérer que quand le vent tourne en sa faveur pour reprendre du terrain.
Rien n’est éternel, tout est ‘mutation’.
Pour mieux saisir l’origine de ce mode de pensée, remontons vers les
premières heures de l’histoire chinoise. Le roi Zhou Wenwang (XIe siècle
av. J-C), lors de son emprisonnement par le dernier empereur tyrannique
des Shang, a écrit le Yijing, le Livre des Mutations, aussi appelé
Mutations des Zhou. Par combinaison de traits pleins et brisés
(pair-impair ; yin-yang), 8 trigrammes de base se sont constitués,
deviennent permutables en 64 hexagrammes. Se basant sur les deux
éventualités d’un événement, il a énuméré et développé toutes les suites
possibles. A usage divinatoire à l’origine, servant à générer les
interprétations du cosmos et de ses mutations, il constitue la base de
la pensée chinoise.
En s’appuyant sur la cosmologie antique, l’application de la théorie du
yin et du yang, éléments duaux qui sont en même temps complémentaire et
indissociables, dans la vie quotidienne, met en place petit à petit
cette philosophie qu’est le Taoïsme. Ce dernier, typiquement chinois,
s’appuie sur l’observation des lois de la Nature pour essayer de vivre
en harmonie avec celle-ci. L’expression « Agir pour le Non agir » (Wei
wuwei) devient un illustre précepte. Le caractère contradictoire
subsisté en toute chose et dans tout être amène à une conduite souple et
ajustable. Une des façons de se comporter serait la recherche de la voie
du ‘milieu’, promulgué par Confucius.
Tandis que la pensée occidentale s’intéresse à ‘Esprit-Ame-Physique’, la
pensée chinoise s’oriente plutôt vers ‘Esprit–Energie–Essence’ chez
l’être humain.
La notion du souffle, l’énergie Qi, devient l’élément incontournable et
omniprésent dans la vie quotidienne des chinois. C’est lui qui joue le
rôle d’agent de liaison entre ce qui est immatériel, l’Esprit et
ce qui est matériel, l’Essence. En les réunissant, l’énergie constitue
la source de vitalité des êtres vivants.
Chez les chinois, dans leur langage courant, le ‘Qi’ est presque partout
et représente énormément de choses. Quelques exemples :
- «Le Qi naît chez moi» (je suis en colère, le Qi monte !),
- «Je te communique le Qi» (je te mets au courant),
- «Cette année, le Qi du ciel est anormal» (La météo de cette année est capricieuse),
- «Ton Qi-Se est remarquable aujourd’hui» (Tu as bonne mine aujourd’hui).
Les Neijia, les arts martiaux internes
La façon de penser sur l’existence de deux éléments opposés mais complémentaires ‘le Yin et le Yang’ (qui forme le Taiji), sur la mutation constante des éléments et sur la perception d’un Principe «le Dao» qui régit sur le cosmos influence non seulement sur l’organisation de la société chinoise, elle constitue le code culturel et traditionnel de toute manifestation. Très naturellement, certains courants des arts martiaux chinois sont empreints de ces traits de dualités, de l’accent mis sur le côté interne, appelés Neijia. Parmi eux, on compte le Taiji quan , le Bagua zhang, le Xingyi quan et aussi le Yiquan. En arts martiaux chinois, cette classification entre Interne ‘Neijia’ et Externe ‘Waijia’ est relativement récente, vers 1895, fin du 19è siècle. Elle a servi plutôt à s’y retrouver dans la multitude de pratiques et d’écoles plutôt que caractériser véritablement les pratiques elles-mêmes. Une pratique qualifiée d’externe peut être très souple et préparée par une mobilisation de l’énergie. De même, beaucoup pratiquent les disciplines ‘internes’ d’une manière uniquement musculaire et très dure.
Les styles en Taiji quan
On compte cinq styles Chen–Yang–Wŭ–Wú– Sun dont le style Chen est
originel.
Le fondateur du style Chen est attribué à Chen Wangting (1600-1680). A
sa retraite du poste d’officier militaire, il retourne à son village
natal Chen Jiagou, situé au Sud du Fleuve Jaune, province Henan. En se
basant sur la théorie du ‘Canon Interne Huang Ting Jing’ et incluant la
respiration Tuna dans les exercices d’entraînement et sur ses
expériences de l’art militaire avec le maniement des armes, il a créé
une boxe souple, le Taiji quan. Dans l’enchaînement long de 108
postures, on y trouve 29 postures provenant du ‘Livre de la Boxe Quan
Jing du Général Qi Jiguang (dynastie Ming. Le livre comprend 32 postures
pour entraîner les soldats contre les brigands japonais dans les régions
côtières de Chine). A part les armes traditionnelles, ses descendants
sont initiés aux exercices à deux, ‘Dashou’, se frapper les mains
(appelé Tuishou, poussée de mains, de nos jours). En remarquant que les
techniques utilisées traditionnellement comme « Chutes, saisies,
frappes, coups de pieds » engendrent trop souvent des ‘casses’, il a
introduit le travail ‘coller – adhérer – relier – suivre’ grâce aux
mouvements spiralés. Ce qui permet d’amortir des attaques violentes et
aussi diminuer des blessures tout en réalisant les applications en
souplesse. Parmi les autres maîtres du village Chen, il nous faudrait
citer Chen Changxing (1771-1853). Il a contribué deux faits marquants au
Taiji quan : A partir des différents enchaînements (On en comptait cinq
à l’époque), il les a synthétisé en deux, un enchaînement long, pratiqué
par tous les styles de Taiji quan et un enchaînement court appelé
Paochui, les Poings Canon, plus explosif ; il a ouvert son enseignement
aux personnes extérieures du clan des Chen, en acceptant Yang Luchan
comme un de ses disciples.
Le style Yang dont le fondateur est Yang Luchan (1799-1872) est le plus
répandu. Yang Luchan avait appris pendant dix-huit années au village
Chen Jiagou auprès de Chen Changxing. Installé ensuite à Beijing, la
capitale, il était surnommé Yang l’invincible ‘Yang wudi’. Il a adapté
cet art en l’arrondissant par des cercles et par des techniques plus
‘camouflés’ (paumes tournées vers l’intérieur, par exemple). Ainsi la
pratique du Taiji quan est sortie du village Chen et s’est généralisée
à travers le pays.
Le style Wŭ, transmis par Wŭ Yuxiang (1812–1880) est caractérisé par des
postures plus serrées et en verticalité, avec une distinction du travail
sur le plein – vide plus marqué.
Le style Wú (de Quanyou, 1834–1902 puis de son fils Wú Jianquan
1870-1942) est caractérisé par la capacité d’absorption et la
neutralisation en souplesse, avec des mouvements doux, légers et en
continus.
Le style Sun, transmis par Sun Lutang (1861-1932) est caractérisé par la
fluidité de ses déplacements en souplesse et de ses mouvements
d’ouverture et de fermeture.
Un art pour tous
En tenant compte l’ensemble fonctionnel du corps et de l’esprit, les exercices du Neijia conviennent à tous d’une manière générale mais le Taiji quan jouit une place privilégiée:
- L’apprentissage du Taiji quan se déroule par un retour à soi-même. Les mille pensées parasites s’estompent au fur et à mesure. Le corps pénètre dans un état de détente, l’esprit serein. Il arrive qu’un débutant baille, signe que l’excitation du cerveau cède à un état de relaxation physiologique et un bien-être psychologique. En terme médical, l’électroencéphalogramme mesurant l’intensité des activités cérébrales de cette personne renvoie des tracés d’ondes réguliers et d’amplitude large, appelé ondes Alpha, similaire à la phase pré-sommeil. Les activités cérébrales sont au ralenties. Ce sont des périodes intéressantes et importantes pour se récupérer, à côté du sommeil lui-même. Souvent, après un cours de Taiji quan, les élèves ressentent une légèreté au corps et en pleine forme. Ces bienfaits tentent à se prolonger. Avec l’habitude, le pratiquant garde cet état de relaxation à chaque moment de la journée. Son acuité de concentration va lui permettre de faire face et de gérer au mieux des situations changeantes et des urgences.
- Il comprend une succession d’étirements en douceur à travers un enchaînement codifié. En prenant le temps d’aller jusqu’au bout des mouvements (qui ont un sens martial, ne l’oublions pas), en respectant la verticalité et en alternant l’appui sur le sol (un des concepts du Taiji : plein–vide), le corps reprend sa place dans l’espace de trois dimensions. La conscience que «l’homme est entre ciel et terre» est rétablie. S’ouvrir vers l’extérieur puis revenir vers l’intérieur de soi, vers son centre, cet aller et retour nous aide à ne pas se recroqueviller. Au niveau des tensions internes, ces mouvements souples dénouent au fur et à mesure les blocages physiques (les nœuds tendineux, les tassements tissulaires). Ils aident à rétablir des connexions nerveux jusqu’aux extrémités des membres supérieurs et inférieurs (les canaux carpien et tarsien). Suite aux déblocages physiques, le bien-être psychologique défait les blocages psychique et psychosomatique.
- Le travail de l’enroulement spiralé ‘Chansi jing’ mobilise d’une façon dynamique les méridiens. Tout le réseau énergétique est ainsi quadrillé, allant de la surface jusqu’en profondeur, de la tête jusqu’aux pieds. Avec la respiration fœtale, l’énergie primordiale Hunyuan qi est constamment préservée. L’harmonie des souffles, souffle avant la naissance du ‘Ciel Antérieur’ et souffle après la coupure du cordon ombilical du ‘Ciel Postérieur’ est entretenue avec soin. Dans l’ancien temps, ces techniques respiratoires sont gardées en secret. Beaucoup de références utilisent des métaphores ou des vocabulaires imagés pour parler la même chose.
Taiji quan et santé
En s’apercevant de tous les bienfaits de cette pratique à la fois non agressive et souple, à la fois régénératrice et respectueux de l’état de la personne, beaucoup de médecins, généralistes ou spécialistes (en kinésithérapie, en ostéopathie, en psychothérapie) conseillent leurs patients de suivre des cours parallèlement à leur traitement médical. Avec une pratique assidue, certains troubles chroniques tels que l’insomnie, le stress latent, l’irrégularité de la tension artérielle, les douleurs articulaires et les migraines disparaissent. Plus recentré, plus réceptif et à l’écoute de son corps, tels sont les bienfaits qu’on pourrait citer parmi tant autres. Ce travail global agit en même temps sur le physique et sur le psychique. La souplesse et le bien-être corporels induisent une souplesse à l’esprit. Un regard plus tolérant vis-à-vis de soi-même puis des autres s’installe. La confiance en soi prend la place de l’angoisse non justifiée.
Le style Chen vu par Le-My Lac
En général, un cours de Taiji quan de l’école Hunyuan style Chen comporte trois phases de travail distinctes mais liées :
- Phase préparatoire : Le corps et l’esprit entrent dans le calme. Les
mouvements extérieurs s’estompent. La concentration vers l’intérieur
s’opère, mettant en évidence les activités intérieures du corps,
physiques et psychiques.
Par des exercices de Hunyuan Qigong, on étire tout le corps et sollicite la respiration fœtale. Une fois les organes internes et les énergies bloquantes purifiés, des exercices d’enroulement spiralé mobilisent articulations, tendons, muscles et os en les mettant en mouvements souples. Les fonctionnalités internes se régulent peu à peu. Les ressources et les capacités métaboliques sont sollicitées et mises à contribution. - Phase d’apprentissage des nouvelles postures en solo puis en duo.
Pour intégrer dans l’enchaînement, les nouvelles postures sont expliquées en détail, répétée en solo d’abord, puis travaillée en duo pour mieux comprendre leur finalité. - Phase d’intégration et répétition de l’enchaînement.
La mise en place de ces nouvelles postures dans l’enchaînement et la répétition de ce dernier sollicitent à nouveau tout le corps et toute l’intention.
En partageant le mouvement galactique avec ses deux bras autour d’amas central, nous sommes effectivement ‘entre Ciel et Terre’ : Bouger en partant de son centre, déployer son corps dans un tourbillon de mouvements spiralés, symétriques et centrés, exploiter sa spontanéité et son énergie à travers d’applications martiales. Tout se réalise d’une manière naturelle, avec peu d’artifice.